L’Incident Jésus, Frank Herbert et Bill Ranson

Sainte conception

Dès la lecture du titre, on se demande s’il va oser. Oser le parallèle religieux. Ben ouais, il ose. Les ficelles sont bien épaisses, les personnages un peu désincarnés à mon goût, mais ça marche. Ce deuxième volume du Programme Conscience est bien plus intéressant que Destination : Vide, en cela qu’il nous sort de ce huis clos attentiste pour nous projeter vers un monde nouveau et dans des interactions plus diverses.

Un nouveau-monde, devrais-je dire, puisqu’il s’agit bien ici de coloniser une planète pour le moins inhospitalière afin d’offrir un nouveau souffle à l’espèce humaine. L’auteur met en scène les clones des humains originels, reproductions des reproductions ayant embarqué sur la nef lors du premier tome, alors en sommeil hibernatoire, et les natifs de Pandore, cette planète prédatrice qu’ils sont censés dompter. Leur origine est commune, certes, mais l’humain a curieusement tendance à imaginer des castes pour mieux diviser. Le tableau est caricatural à souhait, pourtant, en inversant la règle de “qui est le plus légitime sur cette nouvelle terre”, Herbert rend leurs rapports socialement intéressants.
Ajoutez Nef, dieu-vaisseau fabriqué dans le tome 1, ses habitants les Neftiles, les rapports que ces derniers entretiennent avec ceux de la colonie, d’ailleurs menacés par les démons de Pandore et, enfin, une entité insoupçonnée régissant l’écosystème de la planète. Beaucoup d’éléments, oui, mais très lisibles ; en tout cas, ce ne sont pas eux qui m’ont rendu la lecture complexe.

J’ai beau être habitué à lire de l’imaginaire avec moult personnages, j’ai pour la première fois eu du mal à identifier ceux de L’Incident Jésus. De chapitre en chapitre, Herbert jongle entre ses héros. Je visualisais sans mal les situations et les enjeux, mais j’ai manqué de matière pour parvenir à situer certains intervenants sur ma carte de lecture. Davantage de bagage, de traits de caractère ou d’affect m’auraient aidé. Jusqu’à la fin, donc, à part pour quelques exceptions, je n’ai pas réussi à me les approprier et, par conséquent, à m’ancrer pleinement sur Pandore. Voilà pour le gros point noir de cette lecture.

Pour la trame, c’est très construit (normal avec Herbert, me direz-vous) et on prend plaisir à suivre l’évolution des personnages et de leur psychologie.
Le postulat de départ est simple : comme sur un échiquier, Nef anime et joue avec différentes pièces (individus clefs), en ne manquant pas toutefois de leur soumettre un ultimatum et un objectif : apprendre à la vénérer ! L’histoire de ce long roman tient dans ce simple mot, la Vénéfration, et je salue le parti pris de l’auteur de ne livrer la solution qu’à la toute fin. Une morale cousue de fil blanc, certes, mais dont il est bon de rappeler les sages enseignements.
Même si les détours empruntés par ce dieu tout-puissant me semblent presque anecdotiques, ou alors proches du jeu sadique étant donné qu’il peut tout régler en un tournemain, j’apprécie l’idée que les humains puissent et doivent apprendre par eux-mêmes. Bon, Nef les aiguille largement hein, presque autant que l’entité rencontrée sur Pandore… N’est-ce pas la première qui a engendré la seconde ? On aurait presque tendance à l’oublier. Finit-elle par échapper à son contrôle ?
L’effacement de Nef au profit de cette entité et d’une humanité de plus en plus autonome m’apparaît à présent comme nécessaire pour soulever les questions d’ordre religieux qui passionnent tellement Herbert. Il le fait avec brio.

Nous avons ici grosso-modo les mêmes éléments et sujets de société abordés dans Dune, mais traités sous un angle différent. La religion, donc, la foi conductrice de certains personnages, la puissance du spirituel, l’écologie omniprésente, la légitimité des puissants, le transfert du pouvoir, la nécessité de la guerre, la manière dont les évènements bouleversent le psychisme des personnages, etc. Le tout parsemé de quelques éclairs de philosophie et de poésie.
L’écriture de Frank Herbert est pleine de symboles. D’ailleurs, c’est là une récurrence terminologique dans ce roman ; les personnages eux-mêmes ont conscience combien les symboles sont importants. Le martyr, le démon, l’éveil dans l’épreuve, l’innocence de créatures neuves, le péché de chair, l’immaculée conception et j’en passe. Je l’ai dit en préambule, les ficelles sont évidentes, mais cela rend les intentions de l’auteur d’autant plus lisibles.

En ce qui concerne le style, c’est nettement moins abouti que Dune. La faute à la contribution de Bill Ranson (dans quelle proportion ?) ou à la traduction ? Je ne me risquerai pas à avancer telle ou telle explication avec certitude, l’écriture m’a beaucoup moins emporté, c’est tout. Nuance cependant, c’était déjà beaucoup plus plaisant que pour Destination : Vide. Plus équilibré et plus fluide.

Je laisserai passer un peu de temps avant de lire la suite, mais j’ai la quasi certitude que les volumes 3 et 4 poursuivront ce crescendo vers ce que Frank Herbert sait faire de mieux : faire tomber les certitudes humaines.

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