La Forêt sombre, Liu Cixin

Authentique

D’une science-fiction chargée historiquement et culturellement, ce qui était à mon sens le point fort du tome 1, nous bifurquons ici vers une science-fiction politique et militaire plus classique et rébarbative. L’intérêt et la curiosité changent d’axe pour développer quelques brillantes idées tant scientifiques que psychologiques. Sans ces éléments rafraîchissants, j’aurais certainement abandonné ce très long roman.

Débarrassons-nous d’emblée des points négatifs : premièrement, l’un des deux axiomes sur lesquels repose l’entièreté du roman est une aberration. Prétendre que dans l’univers toute civilisation ne cesse de croître et de s’étendre est assez symptomatique d’une espèce assez peu évoluée, en total déséquilibre avec son environnement et ses ressources. Cixin introduit ces axiomes dans le but d’apporter une réponse somme toute acceptable au paradoxe de Fermi, néanmoins, je suis troublé qu’un auteur de SF aussi réputé puisse manquer de clairvoyance au point de projeter les tares de l’humanité sur d’éventuelles autres civilisations de par le cosmos. Démarrer d’un postulat erroné, car invérifiable, m’a donc quelque peu freiné à entrer pleinement dans ce récit.
Ensuite, les dialogues et la narration sont trop souvent improbables, puérils, voire lunaires, si bien que l’on peine à vraiment se projeter dans des enjeux qui semblent dépasser tous les protagonistes. Peut-être l’auteur a-t-il voulu exprimer la jeunesse et l’inconséquence d’une espèce incapable de la moindre sagesse ; dans ce cas, le pari est réussi – et réaliste (voir le positif dans le négatif : check).
Aussi, on lit fréquemment que la science-fiction est “aride” ; eh bien ici, rien ne saurait être plus vrai. Contrairement au tome 1, un manque cruel d’émotion entache ce roman. Même l’amour transi du Luo Ji, qui pouvait bénéficier d’une aura poétique quand il n’était qu’imaginaire, revêt une triste superficialité dans la contemplation d’un visage, d’une silhouette en tous points parfaite. Un amour sans profondeur animé par la seule beauté physique ? Non. Liu Cixin essaie d’y apporter un peu de relief avec un caractère angélique, une recherche esthétique en toutes choses, ou encore les fameuses pureté et bienveillance qui font tant défaut à cette époque troublée, mais ça ne prend pas. Le héros développe tellement peu ses affects que son amour paraît très égoïste. Les rares personnages féminins existent d’ailleurs uniquement par le prisme du regard d’hommes désireux de les posséder ; c’est lassant. Une seule vient sauver la baraque, c’est l’épouse d’un des colmateurs (ne me demandez pas de vous ressortir son nom) ; là, il existe une vraie complémentarité, un lien affectif et spirituel nourrissant. Dommage qu’il ne s’agisse que d’un duo annexe.
Une poignée de petites erreurs grammaticales ou d’incohérences sont venues se greffer là-dessus, mais ça, l’auteur n’y est pour rien, ce sont le traducteur et l’éditeur les fautifs. Malgré tout, mon ressenti reste assez agréable.

La Forêt sombre regorge tout autant de qualités. Dans un style globalement lisse et linéaire émergent des éclairs de lucidité, de poésie ou encore d’audace. Ils ponctuent le récit à la manière de solos de violoncelle dans un récital de jazz. Si si. Ces moments-là, il faut savoir les capter au vol, sans ça, ce roman restera d’une austérité peu engageante.
Les détails évoqués plus haut, plus ou moins importants pour le récit, apportent tout son caractère novateur à ce livre. Il peut s’agir d’un point technique pour accomplir le crime parfait, d’une conception globale d’un univers avec ses chaînes de suspicion promptes à donner le tournis, de conditionnement psychologique décisif dans l’évolution de notre espèce, etc. L’auteur possède sans conteste une vision originale et parvient à nous la faire partager avec talent. Bon, évidemment, tout au long du livre, nous sommes en droit de nous agacer en grognant des “Tout ça pour ça ?”, mais les éléments imbriqués ici appartiennent à une logique froide et implacable dédiée à la survie… ou pas.
Il s’agit d’une science-fiction d’une extrême sombreur. Même l’acte désespéré d’un héros souhaitant préserver quelques bribes de son espèce se transforme en un gâchis sans nom, fortement probable soit dit en passant. Un tableau pas franchement reluisant. On ressort de cette lecture encore plus pessimiste qu’en y entrant.
Le titre à lui seul livre un concept passionnant, une clef pour la compréhension d’une stratégie séculaire. L’auteur a de la suite dans les idées, c’est certain. D’aucuns jugeront la solution un peu expéditive, voire commode (pliée en deux paragraphes, tandis qu’il peut passer cent pages sur la description et l’évolution d’un état mental beaucoup moins utile pour sa trame), il n’en demeure pas moins que le tout maintient notre curiosité à flot.

Je suis peut-être passé à côté de la psychologie des personnages, la SF politique et militaire n’est clairement pas ma came, mais cette trilogie est pleine de promesses. Tenues ? Chacun jugera. Toujours est-il qu’il existe ici une ambiance à part, une différence dans l’atmosphère de ce récit qui est sans doute à l’origine du succès qu’il connaît. Le tome 3 ne m’attire pas pour le moment, j’ai encore du Demuth, du Herbert ou encore du Forward a déguster, mais qui sait, dans quelques années…

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