Le Facteur Ascension, Frank Herbert et Bill Ransom

Partir ou rester ?

Hop ! Encore un cycle de Frank Herbert bouclé. Un plaisir à la fois stylistique et idéologique.
Bien sûr, le Programme Conscience n’atteint pas la densité psychologique et humaniste de Dune, ses envolées lyriques, poétiques, oniriques se font plus rares, mais on y retrouve grosso modo les éléments qui ont fait le succès de cette saga mythique : l’être humain en lutte avec son environnement, un voyage, une construction cosmique propice à l’évasion, l’intrigue politique et sociale, la spiritualité et la religion, l’écologie portée à un tout autre niveau, l’évolution de l’espèce, une technologie originale et inspirante, etc.
Tout cela est certes moins subtil dans cette tétralogie, moins approfondi, peut-être même plus convenu, mais la mécanique fonctionne toujours aussi bien. Le Programme Conscience est assurément plus accessible que le cycle Dune, moins cérébral, ça oui. J’ai passé d’excellents moments de lecture, d’abord dans le vide spatial, puis sur Pandore.

Le Facteur Ascension conclut cette épopée d’une manière que j’aurais souhaité plus radicale. En effet, je regrette que Frank Herbert n’ait pas fait preuve de plus d’audace, en particulier dans ce dernier volet. Il existait une vraie rupture entre chacun des trois premiers, mais ici l’évolution des humains sur Pandore s’englue sensiblement. Cela s’explique pertinemment par l’ambition délétère d’un Directeur qui prend les commandes d’une planète au détriment de son peuple ; cela a tendance à figer le moindre élan de progrès, ouais.
J’aurais aimé retrouver cette ambition dans le déroulé de l’intrigue, partir encore plus loin dans les idéaux chers à Herbert, dans cette fameuse spiritualité, dans l’immensité spatiale pourquoi pas, quitte à renouer, même brièvement, avec Nef, la déité présente dès l’origine du Programme. Il m’a manqué cette force supérieure, menaçante autant que salutaire ; son empreinte reste toutefois bien présente dans les croyances de certains habitants de Pandore.
Bon, il est vrai qu’Herbert n’a travaillé que sur le plan de ce dernier tome, il ne l’a pas écrit. Bill Ransom n’a sans doute pas eu le cran de proposer un final digne de ce nom, grandiose, inspiré, au risque de dénaturer l’ensemble de l’œuvre. Le style est lui aussi un peu moins percutant, mais c’est bien normal, on ne remplace pas le Maître (quoique la traduction, toujours signée Guy Abadia, tend à gommer cette différence).

Il n’en demeure pas moins que la diversité des personnages proposés ici, leurs fonctions au sein de cette civilisation qui peine à trouver la paix, leur filiation aussi, nous offrent une vision globale de la vie et des enjeux de l’humanité sur sa nouvelle planète. Une extension de ce qu’elle a pu être jadis, dans un autre système, avant que les clones ne soient envoyés à la conquête de l’espace lointain.
L’idée d’une humanité incapable d’apprendre de sa propre histoire, condamnée à reproduire encore et encore les mêmes schémas évolutifs, est ici prégnante. Dramatique. Même avec le trésor qui couve dans les océans de Pandore, il ne saurait en être autrement. Navrant.
Au-delà de la détresse d’une population crevant de faim, des violences perpétrées par une Force de sécurité dénuée d’empathie, on observe les mentalités des Pandoriens changer au rythme des flots et de leur milieu de vie. Quitter les profondeurs pour venir s’établir sur ces nouveaux continents, abandonner les îles organiques et apprendre à cultiver des terres a priori arides, oublier progressivement le Dieu qui les a abandonnés ici et entreprendre de vénérer cette autre présence, élémentaire, qui acceptera peut-être de les accueillir en son sein. Il y a de la poésie dans cette symbiose ; un amour âpre, violent, qui permettra enfin à l’humanité de trouver son équilibre. Seule, elle en est incapable.

Nef cède donc ici à sa place à une autre entité sentiente. Au cours de ce cycle, les auteurs nous font passer d’une intelligence artificielle et technologique vers une conscience organique animant Pandore bien avant le débarquement des humains. D’ailleurs, le varech (ou Avata) était présent dès L’Incident Jésus ; entre domestication partielle, affrontement plus ou moins inégal et contrôle à double tranchant, on peut dire que l’être humain a mis du temps à accepter la forme de vie ultime et originelle de sa terre d’accueil.
Celle qui permet la communion de tous les êtres de Pandore s’avère être finalement le sujet central de ce roman. De concept nébuleux, Avata devient (a toujours été ?) progressivement toute-puissante ; sa recherche de l’équilibre entre toutes choses en fait a priori un être bienveillant, autant ne pas se mettre en travers de cette tendance naturelle. L’idée d’Immensité, de globalité, de cette interconnexion ou encore de conscience collective est vraiment plaisante dans la mesure où elle nous connecte avec nos origines ; elle remet l’Homme à sa place sans pour autant renier ses propres évolutions.

La boucle est bouclée ! De l’émergence d’une conscience artificielle dans le tome 1, nous aboutissons naturellement vers une conscience… écosystémique vitale. C’était peut-être cela, le dessein de Nef, dès le départ. Derrière ses airs de déité pas commode, le vaisseau dieu avait peut-être pour projet d’offrir à l’humanité un nouveau berceau, plus apte à lui enseigner l’humilité.
Dommage que Frank Herbert n’ait pas vécu assez longtemps pour nous conter la suite des aventures de Pandore et de ses habitants.
Ce mix savant entre science-fiction et fantasy, rares sont les auteurs à le maîtriser, et c’est précisément ce qui m’avait enchanté avec Dune (entre autres choses).

Le Programme Conscience enchantera tous les amateurs d’imaginaire, en particulier ceux que la densité analytique et psychologique de Dune effraie. Bon voyage !

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