Jardins de poussière, Ken Liu

Imaginaire poétique

Il s’en est fallu de peu pour que cette lecture géniale se transforme en coup de cœur.
Les 25 nouvelles composant ce recueil sont, presque sans exception, d’excellente facture. Je pense qu’il m’a manqué une homogénéité de l’ensemble en matière de genre littéraire. En effet, si ce livre est présenté comme un ouvrage de science-fiction, plusieurs textes de la première moitié obéissent clairement aux codes du fantastique, voire de la fantasy. Il est rare de voir un auteur exceller dans plusieurs registres, et compiler ces nouvelles disparates dans un même recueil peut sembler curieux, mais après tout, il s’agit d’un moyen efficace pour découvrir la large palette de l’artiste.
Charmé donc.

Ken Liu n’est pas avare en poésie, romantisme ou autre nostalgie, c’est le moins qu’on puisse dire. Si, au début du recueil, dans ses univers fantastiques, j’ai parfois eu l’impression qu’il en faisait un peu trop, j’ai très vite été rassuré. Ce style se marie bien mieux avec ses idées science-fictionnelles. Il y a de la beauté dans ses mots. Une gravité omniprésente qui redonne à l’humain ses lettres de noblesse.
Le concept de famille est d’ailleurs l’une des pierres angulaires de ses nouvelles. Filiation, héritage, séparation… Ses quêtes sont tout autant intimes que relatives à l’espèce. L’espèce humaine, évolutive, avancée et encore si jeune, inspirée, (dés)illusionnée, agissant par amour, par devoir, par noblesse de cœur pourquoi pas. La dimension psychologique habite chacune de ses lignes, tout prend un sens concret.
Autre fil directeur caractérisant l’écriture de l’auteur : ses origines. La culture, l’histoire, les contes et le système de pensée chinois ajoutent un intérêt à certaines de ces nouvelles. C’est rafraîchissant, pour un lecteur occidental bien ancré dans la SF anglo-saxonne. Une sensation semblable avec ce que le premier tome du Problème à trois corps m’avait procuré. Ken Liu a beau avoir émigré très jeune aux États-Unis, il a su rester proche de ses racines et en tirer parti pour nous livrer des textes universels et évidents dans l’abolition des frontières.

Qu’il s’agisse d’un chantier international à l’échelle du globe, des limites de la technologie, de relativité temporelle, de voyages cosmiques, d’engagement humanitaire, du pillage des traditions au profit de la science et du commerce, de la symbiose/hybridation Homme/animal ou Homme/extra-terrestre, d’immortalité numérique, d’étude de civilisations et de leurs langues, d’écologie, de mécanique steampunk, d’architecture astrale ou encore de biologie, Ken Liu s’approprie une grande variété de sujets avec une sensibilité non feinte. Tout cela l’habite profondément, c’est palpable. Il y croit, comme possédé par ses lubies et ses démons. Mieux encore : il possède les mots pour nous faire partager ses visions. Le réalisme de ses idées est poignant précisément parce qu’il y a déversé un maximum d’humanité.
Du conte fantastique presque enfantin à de la hard-SF spéculative, Ken Liu maîtrise son sujet d’un bout à l’autre. Un auteur extrêmement complet, donc.

Une vraie belle plume et une excellente traduction qui nous font voyager, imaginer, rêver, pour mieux nous rappeler ce qui compte vraiment, et quelle est notre place.

Laisser un commentaire